Ses œuvres

LE COEUR QUI TREMBLE

Second recueil publié chez Vanier en 1892, dédié au poète Auguste-Mathias de Villiers de l’Isle-Adam.

Ce petit livre se clôt sur un long poème en vers de neuf et quatre pieds « La chevelure dorée »qui, non seulement traduit la forme de son exaltation d’alors, mais restera le sourd leitmotiv d’une partie de son œuvre.

« LA CHEUVELURE DOREE »

Nous collâmes nos fronts aux barreaux
De vielle pierre,
Et nous vîmes des os en morceaux
Dans l’ossuaire :
Des os blafards sous un toit de plomb
– Sombres cohortes –
Têtes riant le rictus sans nom
Des têtes de mortes.
Pauvres vieux morts ! Qui dira les mots
De vos détresses,
A ne pouvoir retrouver les os
De vos maîtresses !
… A ne pouvoir retrouver non plus
Même les vôtres,
Oubliés dans la terre ou perdus
Parmi les autres!

Gustave- Charles Toussaint

STUPEUR

Premier recueil de 28 poèmes publié en 1891 à l’âge de 22 ans, ( ed. Vanier.)

A la Mémoire éternelle et sacrée du Poète Edgar Allan Poë
Ces Voix de mon Rêve
Lividement.

PHARE AU LARGE
A Charles- Eudes Bonin.

Enveloppé de l’épouvante des Eaux vertes,
Dressant sa tour sur un roc nu de granit noir,
C’est un Phare émergeant des Mers larges ouvertes ;
La voix bruit d’une vague en un creux d’entonnoir.

Le feu du Phare luit dans la nuit comme un rêve,
Étrangement, ainsi qu’un regard sourirait :
Gloire électrique, ou bien aube falote et brève….
Et l’on entend comme la mer qui hurlerait.

Et les embruns glacés, de leurs volutes grises,
Lui font une auréole blême de linceul
Tordu….Dans la Rafale pleure un râle seul,
Un râle sourd, chanson sanglotante des brises.

Et les Géants du Large érigent leurs crinières :
C’est effroyable, ils vont arracher le récif :
Mais à son flanc leurs flux s’écrasant convulsif,
Les Flots hargneusement déferlent sur les pierres.

Gustave-Charles Toussaint

MIROIRS DE GOULES

Troisième recueil de 40 poèmes publié en 1935. (Imprimerie F. Paillard).
On retrouve dans ce recueil les thèmes de sa jeunesse.

O TIBETAINE
( XXXVI)
Quand tu naquis au pli des montagnes de neige,
A quinze mille pieds en haut des plaines,
Trois cents rois blancs, plus vieux que toutes les dynasties
Gardaient les horizons autour de toi.

Cœur tranquille avec les pasteurs de yaks,
Cœur serré parfois aux cluses perdues,
Tu grandis parmi les abois
De l’avalanche et des tempêtes,
Excluant à l’envol des aigles
Comme au galop des hémiones.

Tu miras ta beauté légère
Dans l’émeraude du torrent,
Celui-là vers l’aval nommé
L’Indus, que franchit Alexandre.

Aux épaules la peau de lynx,
Au col l’écharpe de fortune,
Au front la turquoise, fleur pâle
Archimillénaire du roc.

Ton pur éclat prima celui
Des Kaçmiriennes, merveille !
Coquelicot des hauts champs d’orge !
Pavot bleu des escarpements !

Le tchortën enluminés d’yeux
Dirigèrent ta chevauchée
Hors des défilés le soir où
Surgissaient te barrant la route
Bras étendus, un brucolaque
Et le spectre noir de la mort.

Puis tu retrouvas la douce églantine
Et la pierre peinte au seuil du hameau,
Et comme s’ils pussent changer
Le cours froid de la destinée,
T’accueillirent de leurs promesses
Les drapeaux de prière au vent.

Tu fis le tri des abricots
Qu’on déposait sur la terrasse,
Pour aux Protecteurs de ta race
Dresser l’offrande des plus beaux.

Tu vins à Himis adorer
Dolma la Verte dans son temple,
Seule, étincelante et que veillent
Les monstres votifs suspendus.

Tu contemplas en frissonnant
Les fatales Faces voilées
Quand on t’imposait sur la tête
Un recueil de préceptes lourd.

Tu redoutas envoûtements
Au sexe nu des figurines,
Quand grinçaient pour les médecines
Les cymbales des nécromants.

Tu vis l’aède survenir
Qui scandait la geste archaïque,
Et le Lama-Dieu te bénir
Du calme sourire buddhique.

L’amour avec le deuil sauras,
Confrontée à misère humaine,
Car tu n’es que la sœur pareille
Des mortelles au regard las.

Ton sein tremblant pour s’affermir
Se blottira contre la pierre.
Ton songe errant pour se fixer
Élira les glaciers suprêmes.

Et le vide de la nature
L’arcane t’ouvrira béant,
Qu’il n’est rien qui vaille ou perdure
Que la science du néant,

O Tibétaine !

Gustave-Charles Toussaint